Présentation :
Dans une maison de retraite.
Quatre pensionnaires, quatre femmes : Victorine, Mauricette, Octavie, La Mère Lançon.
L’action se déroule dans la chambre de Victorine.
* * * * *
.....
VICTORINE. Comme il est tentant de tout vouloir mêler. Au mieux on se console.
OCTAVIE. Au mieux.
VICTORINE. Enfin ?
OCTAVIE. Qu’espère-t-on ?
MAURICETTE. Garder en soi, enfoui, ce moment à la fois étonnant et désarmant, où l’on a eu l’impression de se connaître totalement, et que seul le silence a pu prolonger.
OCTAVIE (songeuse). Où l’on s’est retrouvé... immobile.
MAURICETTE. C’est la vie, la vie discrète.
VICTORINE. Celle qui flotte et qui erre. La vie d’un gisant qui refuserait de prendre la posture.
OCTAVIE. La vie d’un seul élan.
MAURICETTE. Notre vie.
OCTAVIE. Toute la vie.
VICTORINE. La toute petite vie.
OCTAVIE. Nous ne demandons que de la retenue.
MAURICETTE. A peine plus.
VICTORINE. Si petite, je vous dit !
MAURICETTE. Si ouverte à la première parole.
.....
Scène 3
* * * * *
.....
VICTORINE. ..... Tu t’amènes un jour sans que tu aies fini ailleurs. On est aux petits soins pour toi. Pense donc ! On te dit que tu es bien, que tu as tout ce qu’il te faut, que ton véritable monde, celui qui te convient désormais, est ici. Jettes-tu seulement un coup d’oeil ? C’est vrai, il ne faut plus grand chose. Et il y a tant de lumière dans cette pièce. N’est-ce pas trop, ce plein de lumière ? Faire marche arrière ? Te retrouver sous cette lampe incertaine surplombant la table massive où tu passais la soirée comme on filtre sa mémoire ? Avant ! (Un temps.) Avant, quand tu vieillissais par petites touches, dans une union totale des êtres et des choses, c’était recevoir et donner. C’était partager. Rien qui ne se fasse sans toi quand tout s’agitait alentour. ..... Avant c’était vieillir, aujourd’hui ce n’est pas encore mourir. .....
Scène 14
* * * * *
.....
VICTORINE (portant sa tasse à ses lèvres et la reposant immédiatement ). Hum ! ... c’est encore trop chaud.
MAURICETTE (faisant de même). Ouh !
LA MÈRE LANÇON. Le café se boit brûlant, sinon il n’a pas de goût.
OCTAVIE. Chaud à point, tout simplement.
LA MÈRE LANÇON. Brûlant quand même.
MAURICETTE. Enfin ! chaud.
VICTORINE (essayant de nouveau, sans plus de résultat). Eh bien ! Mauricette, tu nous as gâtées aujourd’hui.
LA MÈRE LANÇON. Je vais vous montrer. (Elle se lève, porte prestement sa tasse à sa bouche et la laisse aussitôt tomber.) Oula ! ... Oulala ! ... Oh ! mes lèvres, mes pauvres lèvres.
VICTORINE (goguenarde). Mais le café, il se boit brûlant. Et bien sucré. Le vôtre était parfait. (Insistant.) Par-fait !
LA MÈRE LANÇON. Regardez. (Retroussant ses lèvres.) Oulala !
VICTORINE. Par-fait.
LA MÈRE LANÇON. Oulala ! ... (Accaparée soudainement.) Vous n’avez pas sucré votre café.
VICTORINE. Pas sucré, bien chaud et ... dans la tasse. Hum !
LA MÈRE LANÇON (ramassant sa tasse intacte, mais vide). J’aime le café.
VICTORINE. Evidemment. Mais le café que j’aime, c’est celui que les autres boivent.
.....
Scène 15